Interview de Bénédicte Delelis : « La lumière est possible dans la nuit »

Bénédicte Delelis : « La lumière est possible dans la nuit »



Que faire face aux détresses de nos vies ? Bénédicte Delelis publie des textes attentifs, profondément humains, et surtout baignés de lumières. Lumière de la joie qui irradie sa plume ; lumière des réjouissantes références littéraires et théologiques à travers les siècles ; lumière d’espoirs et de promesses.
 

Bénédicte Delelis est enseignante en théologie au Collège des Bernardins, Professeure au Collège Stanislas en classes préparatoires, et chroniqueuse reconnue de Famille Chrétienne. Elle publie une très belle Lettre à ceux qui attendent la consolation (Editions Mame, 2023), qui fait suite à Dieu passe tout près de nous. Les saintes aventures de la vie ordinaire (Editions Emmanuel, 2022). La lecture des textes de Bénédicte Delelis et sa voix ne laissent pas indifférent, loin s’en faut : elles ouvrent et explorent des chemins d’espérance.


 
Un entretien BloomTime :
 


Bonjour Bénédicte Delelis. Pourquoi écrire ces livres ? D'où en est venue l'idée ?
 


Ce qui me préoccupe est la souffrance dans ce monde, le nombre de gens souffrants, qu’elle que soit la nature de cette souffrance. Et le sentiment d’abandon qui lui est parfois associé : Dieu nous aurait-il oublié ? Aurait-il donné le mal sans s’y intéresser ? Pire, en serait-il complice ? La question de la souffrance des innocents notamment s’élève comme un cri vers Dieu dans ce monde.
 
 

Mon propos est d’inviter à se tourner vers un visage. J’ai fait l’expérience qu’au milieu des souffrances resplendit un visage, celui de Jésus. Il est frappant de voir dans l’évangile que le Fils de Dieu, Jésus lui-même est souffrant, sur la Croix. Là, il transforme la souffrance subie en amour pour tous, en don absolu de soi. La thèse de mon livre c’est que la résurrection du Christ transforme le rapport à la souffrance de deux manières : Désormais, la souffrance et la mort ne seront plus jamais le dernier mot d’une histoire. Le dernier mot de chaque histoire devient la Résurrection. Alors, la souffrance est transformée puisque s’y lève la lumière d’une espérance : moi aussi, et ceux que j’aime nous ressusciterons ! De plus, nous ne sommes plus jamais seuls : nous sommes rejoints par la présence du Christ : celui qui nous aime au point de souffrir avec nous.  Le Christ est amour, lumière et résurrection. Porteur de souffrance, Jésus est amour, donne l’amour et propose par la résurrection un amour éternel.


Cela fait écho à ce qu’écrit Dostoïevski avec ces mots sublimes : « nous nous reverrons ».
 
 


On considère parfois que les mystiques conjuguent le doute et la foi, voire la souffrance et la foi ; ainsi Thérèse de Lisieux. Est-ce à dire que ce serait là le propre de notre condition humaine, cette simultanéité de l’épreuve et de l’espérance ?
 


Il est vrai que les mystiques portent souvent en eux une part de doute. C’est en effet le cas pour Thérèse de Lisieux à la fin de sa vie notamment : elle ne sent plus qu’elle croit. Elle croit avec sa volonté mais n’en n’a plus de ressenti. La foi est dialogue de nos vies concrètes, marquées par l’épreuve, avec Dieu, Dieu qu’on rejoint quelquefois comme à tâtons, dans l’obscurité. Aujourd’hui, nous croyons, demain, nous verrons ! C’est cette articulation, cet ancrage, ce dialogue entre nos épreuves et les réponses qu’offre le Christ, qui compose la singularité de nos existences. Et qui dessine perpétuellement la possibilité d’une réponse. La foi coexiste avec la nuit.
 
 
 
 
Vous faites un éloge appuyé de l’amour. Est-ce à dire que c’est là une manière de regarder l’autre, y compris celui ou celle qui nous blesse, de trouver en soi la force de l’aimer, en dépit des souffrances infligées ?
 


Cette promesse est l’une des plus belles qui soient, et probablement l’une des plus réconfortantes : l’amour comme réponse à la détresse. Mais attention : la colère contre l’injustice est nécessaire. L’amour n’est pas nier l’injustice. . Celui ou celle qui nous blesse engendre une colère, et cette colère ne doit pas être ignorée.

Mais en effet, la parole d’amour recèle une force à nulle autre pareille. Y compris celui ou celle qui me blesse, y compris parmi mes proches, y compris dans ma propre famille, peut toujours être l’objet de mon amour. Et cet amour que je donne est inaliénable. Quoi que fasse l’autre, nul ne pourra m’empêcher d’aimer.
 
 


Adèle Van Reeth vient de publier un beau livre : Inconsolable (Gallimard, 2023), en lien avec le décès de son père. Adèle Van Reeth laisse entendre que le propre de notre condition humaine serait d’être inconsolable ; notamment en raison de la perte de nos proches et de la douleur inaltérable qui lui est liée. Peut-on dire que votre livre Lettre ouverte à ceux qui attendent la consolation, s’autorise précisément comme l’une des voies de réponses ?


 
Bien entendu les pertes de nos proches font de nous des êtres inconsolables. Et bien entendu la tristesse est durable. Je suis d’accord avec ce titre d’Adèle van Reeth : moi aussi, sans la Résurrection du Christ, je serais absolument inconsolable. Elle a raison : nous ne pouvons nous consoler de la mort, ni des histoires d’amour inachevées comme dans oncle Vania de Tchékov. On y sent cette quête d’autre chose, cette attente d’un au-delà, une soif d’un monde où nous nous retrouverons, nous pourrons enfin nous aimer les uns les autres sans la menace de la séparation, des déceptions de la vie, un monde où « nous nous reposerons ». Ce qui me rend aujourd’hui consolable, y compris dans l’inconsolable, c’est l’espérance de la résurrection.
 
 
 
 
 
Au fond, vous dites qu’il existe plusieurs registres de l’amour....


 
Exactement : l’amour au sein d’un couple, l’amour des parents et des enfants, l’amour imparfait comme dans Tchekhov, et l’amour essentiel, l’amour éternel offert par la promesse du Christ...
Dans notre société que l’on peut qualifier de « société de solitudes », pour ne pas dire d’abandons, l’idée d’amour collectif et éternel, sa possibilité et sa réalisation dans l’histoire, constituent probablement les plus belles espérances qui soient. Un message positif au cœur de la nuit, et plus puissant que celle-ci.
 
 
Publié le 16 Mars 2023

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