Interview de Najat Vallaud-Belkacem


Najat Vallaud-Belkacem, naguère ministre des Droits des Femmes, puis de l'Education nationale, est désormais engagée à la tête d'ONG : One et France Terre d'Asile.


A titre exclusif pour BloomTime, elle livre ici quelques clés de son "énergie de vie", et partage quelques idées pour cultiver nos jardins d'enthousiasme, malgré cette période si troublée.






Un entretien Bloomtime :



Nous sommes dans un monde avec des informations qui sont souvent des informations très sombres : des difficultés économiques, parfois sociales, parfois démocratiques, etc.  Nous avons un sentiment de relâchement, d'abandon.  Comment est-ce qu'on arrive à trouver encore dans ce monde-là une force, un enthousiasme, une envie de faire des choses, d'aller de l'avant pour soi-même, pour ses proches ?



 
Je ne crois pas qu'il y ait de recette miracle et, honnêtement, je comprends qu’un certain nombre de gens soient seulement inquiets, mais accablés par tout ce qui nous encourage en ce moment. Les mauvaises nouvelles sont quand même légion : la guerre, le retour de la famine, la pandémie… Vraiment, il y a de quoi en effet être sombre.


À titre personnel, je dirais que ce qui me permet de retrouver de l'enthousiasme malgré tout et de ne pas être juste dans la déploration, c'est le fait de me mettre en mouvement et de nous mettre en mouvement collectivement.
 

Se mettre en mouvement cela veut dire entrer dans un combat avec une cause précise, avec un objectif à atteindre. Alors, on ne l’atteint peut-être pas à la fin. Moi, je me suis engagée en prenant la direction de l'ONG One dans la lutte contre l'extrême pauvreté dans le monde. Donc bien sûr, ce n'est pas en six mois et ce n’est pas en un an que vous allez extraire tous les gens de cette extrême pauvreté. Mais parce que vous vous êtes donné cet objectif-là, vous menez des campagnes, vous rédigez des mécanismes financiers que vous allez adopter auprès des institutions financières internationales pour les leur faire adopter. Et, mine de rien, de temps en temps vous remportez quelques victoires quand même. Et quand vous en remportez une, deux puis trois… Je crois que c'est cela qui vous aide à tenir.
 


Je pense que se mettre en mouvement, ne pas se dire que « tout cela de toute façon c'est fini » et « qu'on n'y peut rien », comprendre qu'on n'y pourra d'autant plus quelque chose si en effet on s'inscrit dans une dynamique collective, c'est ça qui est le ressort de l'enthousiasme.


 
Donc faire de l'autre un allié d'enthousiasme et non pas un ennemi ou un adversaire. Se construire avec les autres et pas contre les autres.
 


Alors oui et d'ailleurs je me demande si ce n’est pas cela quand même qui ces dernières années m'a un peu plus amenée vers le monde des ONG, de la société civile que vers le monde de la politique. Je ne dis pas que j’ai complètement quitté la politique, mais c'est vrai que force est de constater qu'en politique, l’action négative finit par l'emporter sur l’action positive : c’est-à-dire que la politique est traitée par des partis qui aujourd'hui mobilisent par la peur, le rejet, par les passions négatives.
 


Dans le monde des ONG de la société civile, on est encore, et c'est peut-être pour cela qu'on arrive à attirer davantage de jeunes, dans cet idéal qu'on cherche à construire d'une société nouvelle, d'un monde plus juste et je pense que en fait, on a besoin de ces émotions positives aussi pour tenir bon et pour le faire avec plaisir.
 
 


Est-ce que vous aviez peut-être un mot que vous auriez envie de transmettre comme message aux générations qui arrivent ? Qui, au fond, sont précisément perturbés par ces désordres du monde et la manière dont ils peuvent grandir dans ce monde-là.
 


J’aimerais m’adresser en particulier à cette jeune génération en France, puisqu'on est en France, et tous les pays ne sont malheureusement pas dans la même situation, par exemple à l'égard de l'accès à l'éducation.


J’ai souvent de la part des étudiants avec qui je suis en contact cette question qui revient : « est ce que vous pensez que j'ai fait les bonnes études ? Que j'ai le bon diplôme ? Le bon champ d'expertise pour m'engager moi aussi en politique ? ». Et à chaque fois, je réponds : « S'engager en politique ou dans une association, cela n'a pas grand-chose à voir avec le diplôme, les études ou le champ d'expertise. En fait, cela a tout à voir avec ce qui vous prend aux tripes. En réalité, si vous êtes convaincu que quelque chose dysfonctionne autour de vous, que vous savez dans quel sens il faudrait aller ou que vous ne voulez pas voir disparaître quelque chose autour de vous, cela veut dire que ce quelque chose vous tient à cœur, que vous avez une opinion dessus. Donc un projet de société. Donc engagez-vous. Cela suffit.  Le reste ? L'expertise, la gestion d’une crise ou de communication ou l'éloquence, cela viendra après, ce sont des apprentissages tout cela. Il n’y a pas de codes pour pouvoir faire de la politique, pour pouvoir s'engager associativement parlant. Donc, je dirais simplement aux jeunes qui nous écoutent : « Faites-vous confiance. Écoutez cette petite voix intérieure qui vous dit que quelque chose ne va vraiment pas autour de vous et que vous savez comment le surmonter » .


 
Publié le 25 Mars 2023

Partager l'article