Thierry Wellhoff : « Des petites phrases qui nous aident à remonter le fil du temps et à nous reconnecter à nous-mêmes »

Thierry Wellhoff : « Des petites phrases qui nous aident à remonter le fil du temps et à nous reconnecter à nous-mêmes »


Quelles sont nos madeleines de Proust, qui sont également nos souvenirs et repères sur le chemin de nos vies ? Thierry Wellhoff publie Ces petites phrases qui ont influencé nos vies (Flammarion, 2023), et son approche est un délice à la fois humain et de réflexions qui peuvent contribuer à mieux se connaître et mieux connaître les autres.


Prolongeant son expérience et son parcours très reconnus de conseil en communication, Thierry a depuis longtemps engagé des réflexions sur les valeurs et sur le sens ; des entreprises, mais également de nous-mêmes et de nos vies. 


Il livre ici un précieux opus, agréablement nourri par les témoignages de personnalités connues et aimées (Stéphane Bern, Maud Fontenoy, François Berléand, Thomas Dutronc, Yannick Noah...) ; un livre qui appelle à être lu, partagé, et qui invite à revenir sur soi, et aussi à s’ouvrir aux autres.



Un entretien BloomTime :




Bonjour Thierry Wellhoff. Pourquoi écrire ce livre ? D'où en est venue l'idée ? 



J'avais l’idée d’écrire ce livre depuis une dizaine d'années. Je me suis dit ”Si un jour j'ai du temps et si quelqu'un n’a pas eu la même idée avant moi, c'est une chose à laquelle je pourrai me consacrer. Et puis il y a eu un élément déclencheur que je raconte d’ailleurs dans mon livre. Le cadeau par mon fils d’un verre publicitaire reprenant une maxime de Lafontaine qu’il avait cassé dans son enfance et dont il a retrouvé un exemplaire dans une brocante. Cela a été le déclic pour prendre la plume.


A l’origine, l'idée du livre m'est venue parce qu’il m’arrivait, dans ma vie professionnelle comme dans ma vie privée, d’avoir besoin de repères, de voir comment je devais agir ou réagir dans telle ou telle situation… Je me suis aperçu que l’on va aller chercher parfois des réponses dans ce que nous auraient dits nos parents ou nos grands-parents ou encore toute autre personne qui nous a élevé.… Cela également pour savoir vers où nous diriger quand on ne sait pas très bien ce que l’on doit faire et les décisions que l’on ait amené à devoir prendre. Ces petites phrases qui agissent un peu à la façon de consignes de vie, peuvent être très anecdotiques mais peuvent aussi se révéler plus profondes et structurantes.


Mon père me disait souvent “Une 'idée ne vaut rien tant qu’elle n’est pas réalisée”. Et j’ai choisi un métier de communication qui a consisté essentiellement à apporter des solutions, à trouver des idées et à les mettre en œuvre. J’ai réalisé bien plus tardivement le lien entre ce que me disait mon père et ce que j’ai fait de ma vie. Ce sont des choses dont on n’a pas toujours conscience mais qui nous marquent et peuvent même agir comme des injonctions.
La plupart des gens n’en sont pas réellement conscients, mais nous avons tous des petites phrases qui ont marqué nos vies. Il suffit de fournir juste un petit effort de mémoire pour en retrouver le fil. Mais qu’est-ce qui fait qu’une phrase devient structurante ? Quelles sont les phrases qui nous accompagnent, de façon consciente ou non ? Y a-t-il des phrases qui procèdent davantage en tant que repères que d’autres ? Ce peut être le moment où on vous le dit, cela peut être la manière dont on vous le dit, cela peut être bien sûr la personne qui vous le dit, mais aussi cela peut être la fréquence avec laquelle on vous la dit… Cela va influencer la façon dont vous allez retenir cette phrase ou pas. Nous avons tous une histoire et une famille différente et cela fait notre richesse et l’intérêt de ce sujet.


Cela peut être aussi le fait qu’on ne comprenne pas d’emblée la petite phrase. On se dit plus tard : “Mais qu’est-ce qu’on voulait me dire ? Ma mère me disait souvent : “On ne prête qu’aux riches”. J’ai compris cette phrase bien des années plus tard lorsque j’ai dû emprunter à une banque. 


Le père de François Berléand lui a dit une seule fois : “Tu es le fils de l’homme invisible”. Et il l’a prise au premier degré, il croyait que lui-même était invisible. Cela l’a conduit à être accompagné par un psy. Il pense d’ailleurs que d’une certaine manière, cela a façonné sa profession d’acteur. Une phrase dite une seule fois, mais qui a eu un impact majeur pour lui. Il y a heureusement, d’autres phrases qui sont un peu plus anodines.




Ce que vous dites semble très en ligne avec vos réflexions antérieures sur les valeurs et sur le sens (Thierry Wellhoff, Les valeurs. Donner du sens. Guider la communication, Eyrolles, 2010), parce que ces petites phrases expriment aussi des valeurs. Quand vous dites comme La Fontaine “On a toujours besoin d’un plus petit que soi“, ce sont des valeurs en réalité. Est-ce que ces petites phrases au fond sont des guides pour les valeurs ? 


Vous avez raison, les valeurs s’inscrivent souvent comme ces petites phrases dans une logique de transmission. Au-dessus des valeurs, qui sont des vertus collectives, et plus profondément, il y a les croyances  qui conditionnent notre manière de vivre et de faire. 


C’est souvent par ces petites phrases que se transmettent des croyances et parfois des valeurs. Quand ma mère me disait “On ne prête qu’aux riches”, c’est une manière de transmettre la croyance que “Si tu veux exister dans la société, il te faut quelque part de l’argent”. Et si tu veux de l’argent, il faut travailler.


Le grand-père de Thierry Marx, qui vendait de vieux métaux, lui répétait souvent : “Il n’y a que la mort qui était réversible”. C’est une consigne de vie qui signifie : « Tu peux te lancer dans tout. Ce n’est pas grave. Tout ce qui se fait peut se défaire ». Il n’y a que la mort qu’on ne peut pas défaire. C’est une espèce d’encouragement à se lancer, à prendre des risques. Cela véhicule une valeur d’audace.




Y a-t-il d’autres phrases, parmi toutes celles que l’on vous a confiées, qui vous semblent à la fois intéressantes et qui appelleraient à être diffusées, partagées, propagées… des phrases utiles à la réflexion qui font du bien ? 


Dans chaque interview, il y avait plusieurs phrases qui m’ont été confiées. L’une d’entre elles m’a paru à la fois assez drôle et très prédictive. Quand Stéphane Bern était jeune, il voulait de l’information, donc il écoutait toujours la radio dans son lit et quand il arrivait au petit déjeuner, il avait besoin de raconter un peu les nouvelles du jour. Il était déjà - selon lui-même - très bavard. Son père lui disait assez régulièrement : “L’avantage avec la radio, c’est qu’elle, on peut l’éteindre”. On connaît son parcours.




Vous auriez pu écrire un recueil pour vous de petites phrases et le garder pour vous, mais vous les publiez, donc est-ce que vous pensez que cela peut aider des gens ? Soit dans leur parcours personnel, soit aussi peut-être pour retrouver un fil avec eux-mêmes ? Quelle peut être la vocation de ce livre et aussi sa raison d’être, d’une certaine manière, pour la vie des gens ? 


Ce qui me ferait plaisir, c’est non seulement que les gens lisent, mais c’est que les gens me disent : “Grâce à ce livre, j’ai retrouvé une phrase que l’on me disait et cela éclaire beaucoup de choses, mes choix, mes décisions”.


La raison d’être de ce livre c’est de se découvrir, de chercher le fil de son histoire à travers ces petites phrases. C’est aussi pour l’idée selon laquelle les gens peuvent être amenés à se connecter ou se reconnecter avec eux-mêmes. On doit aussi écouter ce que l’on dit à ses propres enfants. On se raconte souvent quelque chose à soi-même. Ces phrases sont une affaire de transmission.




Tout compte fait, ces « petites phrases » apparaissent comme un alignement entre son enfance, entre ce que l’on a entendu lorsque l’on était enfant, et ce que l’on est devenu : ces petites phrases sont une mise en cohérence de son existence.


On a besoin de donner du sens à sa vie, donc de trouver l’histoire de sa vie. C’est d’ailleurs l’objet principal du travail d’ Alfred Adler (1870-1937) un psychothérapeute et psychiatre autrichien qui a fondé l’école de psychologie individuelle. Il a mis l’accent sur le rôle de la personne dans la création de son propre sens et son but dans la vie. Pour Adler, le sens est quelque chose que chaque individu crée en réponse à sa propre expérience de vie et à ses propres choix. Comme dit également le philosophe français Vincent Cespedes, ce qui est intéressant lorsque l’on raconte l’histoire de sa vie, ce n’est pas uniquement ce que l’on garde, c’est aussi ce que l’on ne garde pas, pour donner du sens à sa vie. On essaie toujours dans l’histoire de sa vie de lui trouver un sens. Ces petites phrases, bien que souvent anecdotiques, racontent l’origine de ce que tu es, de ta vie professionnelle, de ta vie affective, de ta vie spirituelle. Trouver le lien avec sa vie produit beaucoup de sens.


Quand le grand-père de Thierry Marx lui dit : « Il n’y a que la mort qui est irréversible », cela indique l’origine de ses choix qui ont toujours été très audacieux. Quand le père de Yannick Noah lui dit « Il faut marner » cela lui montre le chemin. Quand la mère de Anne Roumanoff lui assène « La comparaison, c’est du poison », cela libère son originalité.


Ces petites phrases, que nous les percevions de manière consciente ou inconsciente, agissent souvent comme des mantras. Les connaître ou les retrouver nous aide à remonter le fil du temps et à nous reconnecter à nous-mêmes. Elles nous aident finalement  à mieux savoir qui nous sommes et à mieux comprendre nos choix de vie. 
Publié le 28 Février 2023

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